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Chapitre 11 (extrait)

Oui, c’est possible, les pays phénix l’ont fait !

Nous en avons choisi dix, dix pays industrialisés qui affichent, pour certains depuis des années, voire des décennies, des performances économiques remarquables. Ce ne fut pas toujours le cas : chacun de ces pays fut, à un moment de son histoire, confronté à de graves difficultés. Manque de compétitivité, chômage, croissance en berne, PIB par habitant médiocre (et même pauvreté pour certains d’entre eux, comme l’Irlande), prélèvements obligatoires à des niveaux record, dépenses et endettement public… Ils connurent, à des degrés variables, ce que la France connaît aujourd’hui. Ils auraient pu se résigner. Ils ne le firent pas. Sous la houlette de leaders courageux et visionnaires, ils engagèrent des réformes profondes. Grâce à elles, ils parvinrent à renaître de leurs cendres et à retrouver le chemin de la croissance. C’est pourquoi j’ai appelé ces nations « pays phénix », par référence à cet oiseau mythologique capable de renaître après s’être consumé dans les flammes. Ils sont situés en Europe mais aussi ailleurs dans le monde. Ce sont le Danemark, la Finlande, la Suède, la Norvège, les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Autriche, l’Irlande, la Nouvelle-Zélande et l’Australie.

 

D’autres pays ont également su remonter la pente : à notre liste, on aurait pu par exemple ajouter le Canada ou le Royaume-Uni, dont on dira tout de même un mot tant les réformes libérales de Margaret Thatcher ont suscité, en France, un torrent de réactions négatives. On aurait pu également parler de la Suisse. Mais elle a toujours été, depuis 1850 au moins, un pays frugal, vertueux et, dès lors, n’entre pas vraiment dans la catégorie des pays phénix, ressuscités de leurs cendres industrielles. On aurait pu enfin citer le Japon. Mais il fallait bien faire un choix, au risque, sinon, de se répéter. Nous en avons donc sélectionné dix.

 

Le point commun de ces pays ? Ils ont mis en œuvre, avec succès, les solutions que je propose ci-dessus dans le cadre de l’Agenda 2025/2030. À l’inverse de la France, qui s’obstine depuis le milieu des années 1970 à parier  sur des politiques de relance par la demande ; ils ont pris le problème par le bon bout : s’engageant dans une politique de l’offre, ils ont donné la priorité à la restauration de la compétitivité de leurs entreprises, accompagnant les mesures en ce sens par une hausse progressive des impôts sur les ménages – y compris ceux frappant les chefs d’entreprise – , en particulier via une augmentation de la TVA et, souvent, une plus forte progressivité des impôts sur le revenu. Les résultats sont là : parce qu’ils ont su transférer les charges fiscales des entreprises vers les ménages et les personnes physiques, et introduire une vraie flexibilité du droit du travail, leurs entreprises sont aujourd’hui beaucoup plus compétitives que les nôtres. Les effets vertueux de ces réformes n’ont pas tardé à se faire sentir : en richesse moyenne par habitant, les pays phénix sont aujourd’hui plus riches, et parfois même beaucoup plus riches, que la France ; ils sont parvenus  à redresser leurs comptes publics ; leur balance commerciale est à l’équilibre et même excédentaire ; leur niveau de chômage se situe à des niveaux peu élevés ; ajoutons, et c’est essentiel, que leur démocratie fonctionne bien, qu’elle n’est pas sujette à ces contestations permanentes qui caractérisent de plus en plus la France et nombre de pays d’Europe du Sud.

Pourquoi parler des pays phénix en conclusion de ce livre ? Parce qu’ils sont la preuve que les réformes que nous recommandons dans le cadre de notre Agenda 2025/2030 sont efficaces. Par manque de courage, démagogie ou absence de vision, la France ne les a jamais essayées, se contentant, au mieux,  de demi-mesures jamais suivies d’effet – un peu de politique de l’offre par ci, beaucoup de politique de la demande par là… – et ne cessant d’ajouter de nouvelles contraintes aux entreprises (comme les 35 heures pour ne citer que la plus emblématique). Cette politique brouillonne a eu des effets désastreux, nous tirant sans cesse vers le bas. Les chiffres que nous présentons ci-dessous, chiffres que le lecteur a déjà croisés au fil de ces pages, prouvent assez les effets vertueux d’une politique tournée vers l’offre. Ils montrent que la France a tout à gagner à les prendre pour modèle.

 

Pourquoi et dans quelles circonstances les pays phénix décidèrent-ils de mettre en œuvre des politiques de l’offre ? Quelle était leur situation avant de le faire et quels furent les résultats obtenus ? En un mot, comment les pays phénix parvinrent-ils à renaître de leurs cendres. ? C’est ce que nous allons voir à présent. Il n’était évidemment pas question d’évoquer l’ensemble des pays phénix. Nous avons choisi de nous concentrer sur quelques exemples particulièrement parlant.

 

L’Allemagne

« Les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain »

Helmut Schmidt

 

Commençons par l’Allemagne. Le lecteur pourra s’étonner de la voir figurer parmi les pays phénix. Additionnée de l’Allemagne de l’Est, extrêmement pauvre, elle ne fut pourtant pas toujours la puissance économique dominante en Europe. Au début des années 1970 elle affiche, dans de nombreux domaines, des performances économiques similaires à celles de la France. Même si elle a, après-guerre, bâti son redressement sur les entreprises et la conquête des marchés extérieurs – ce qui lui a permis d’afficher constamment une balance commerciale excédentaire – elle a fini par adopter sous l’égide de Willy Brandt, des mesures keynésiennes tournées vers les ménages auxquels sont notamment proposées de nouvelles prestations sociales. Comme la France, l’Allemagne est durement touchée par les deux chocs pétroliers. Entre 1973 et 1985, période au cours de laquelle les prix du pétrole se maintiennent à des prix très élevés, la croissance annuelle de son PIB reste constamment inférieure à 3 % – 2,6 % de 1973 à 1979, 1,3 % de 1979 à 1985 – contre 5 % en moyenne durant les années 1960. Comme la France, l’Allemagne connaît également une forte inflation, une hausse du chômage (qui passe de 1,6 % à 3,7 % entre 1974 et 1975).

Mais là s’arrêtent les points de convergence. À partir de 1974, tandis  que la France lance son premier plan de relance par la consommation (avec les conséquences que l’on sait), l’Allemagne fait le choix inverse d’une politique de la rigueur tournée résolument vers l’offre. Il est assez piquant de constater que cette politique très favorable aux entreprises est conçue et mise en œuvre par un homme, lui aussi, de gauche – le chancelier Helmut Schmidt, SPD – quand, dans le même temps, c’est un homme de droite – ou supposé tel –, Valéry Giscard d’Estaing, qui, en France, multiplie les cadeaux aux ménages. Face à la crise, Helmut Schmidt opte en effet pour une politique de « supply side » (offre) résolument anti-inflationniste associant des taux d’intérêts très élevés, un allègement des effectifs des services publics et un renforcement de la compétitivité des entreprises. Cette politique était si résolue que certains entrepreneurs allemands – j’en ai été le témoin – avaient des larmes aux yeux lorsqu’ils nous expliquaient la dureté de la politique de Helmut Schmidt ! Dans le même temps, le chancelier gèle toute extension des garanties sociales avant d’inaugurer une politique sélective mais conséquente de réduction des prestations qui permet de garder les comptes sociaux sous contrôle sans toutefois compromettre la politique de soutien à l’activité, par l’offre, bien entendu. En un mot, et pour reprendre les mots de Joseph Schumpeter, Helmut Schmidt préféra « l’électeur-entrepreneur » à « l’électeur-consommateur », convaincu (à juste titre) que c’était le premier qui détenait les clés du redressement de l’Allemagne.

 

Ce choix fondateur, Helmut Schmidt la résume sous un aphorisme devenu célèbre : « Les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain ». Ces propos actent la renonciation précoce – dès 1974​ de l’Allemagne à une politique de relance par la demande et sa conversion à une politique de l’offre destinée à préserver la compétitivité des entreprises allemandes. Ses successeurs amplifieront encore nettement son action. Chancelier jusqu’en 1982, Helmut Schmidt déréglemente ainsi les activités, privatise de nombreuses entreprises – parmi lesquelles Volkswagen, VEBA ou Messerschmitt –, allège  la pression fiscale sur les entreprises et favorise les accords de branche tendant  à allonger la durée du temps de travail, tout en faisant « pleurer » les dirigeants d’entreprise face à ses réformes.

 

Ces orientations connaissent même un nouveau souffle à partir de la fin des années 1990 avec le chancelier Gerhard Schröder. Lorsqu’il arrive au pouvoir au 1998, l’Allemagne, qui vient de réaliser en 1990 son unification très coûteuse avec la RDA, fait figure d’« homme malade de l’Europe ». La croissance stagne, le PIB est inférieur à ce qu’il était au début de la décennie et le taux de chômage atteint près de 9 % de la population active. La réunification est en grande partie responsable de cette situation du fait des ponctions sociales, du chômage, d’une moindre productivité et de la désindustrialisation des nouveaux Länder issus de l’ex-RDA. Toutes choses égales par ailleurs, la situation de l’Allemagne à la fin des années 1990 est un peu équivalente à celle de la France aujourd’hui.

 

Face à un tel contexte, Gerhard Schröder aurait pu renouer avec une vision keynésienne de l’économie. Il n’en est rien : dès la fin de l’année 1999, il annonce une baisse des cotisations sociales, part entreprise, de 25 % à 20,6 % en base (environ 17,5 % à 18 % en taux réel), grâce à la prise en charge d’une partie de ces coûts par l’Etat, et une baisse massive de l’impôt sur les sociétés qui passe de 40 à 25 %. Ce dernier sera, on l’a dit, abaissé à 15 % en 2018, par Angela Merkel. Dans le même temps, le chancelier lance, en 2003, un vaste programme de rénovation du système social allemand. C’est tout l’enjeu de l’« Agenda 2010 », présenté en 2003. Conçu en équipe avec Peter Hartz, ancien DRH de Volkswagen – où il avait négocié des accords de flexibilité des horaires –, il a pour objectif de restaurer la compétitivité de l’économie allemande grâce à une libéralisation du marché du travail, une baisse des prestations sociales et une réforme des retraites. Syndicats et entreprises sont notamment fortement encouragés à se mettre d’accord sur un programme de modération des hausses salariales, de baisse des charges sociales et d’abandon de certaines réductions du temps de travail, non seulement au niveau des branches mais aussi des entreprises elles-mêmes. On l’aura compris : pour que son pays se redresse (renaisse de ses cendres), Gerhard Schröder fait le pari de la flexibilité du droit du travail et de la baisse des prélèvements obligatoires pesant sur les entreprises. Cette politique n’est pas remise en cause par Angela Merkel qui prend même la décision, en 2007, d’augmenter de trois points la TVA (elle passe de 16 à 19 %), cette hausse de la TVA devant en outre financer la baisse de deux points des cotisations sociales sur les allocations chômage (de 6,5 % à 4,5 %), à répartir également entre employeurs et salariés. S’y ajoutent une baisse de l’IS, qui passe de 25 à 15 % du RCAI, et celle de la Gewerbesteuer (mot à mot « taxes commerciales», en fait « taxes sur la production ») qui passent, selon les régions, à 7,25 / 17,25 % du RCAI, soit 14 % en moyenne nationale.

Depuis le milieu des années 1970, avec Helmut Schmidt (SPD socialiste), Helmut Kohl (démocrate-chrétien), qui dû traiter le choc immédiat de la réunification, et Gerhard Schröder (SPD), les réformes fiscales et sociales effectuées en Allemagne répondent ainsi au même objectif : alléger les charges des entreprises, quitte à alourdir, de manière progressive et maîtrisée, celles pesant sur les ménages et les personnes physiques. On a déjà détaillé plus haut le poids des prélèvements obligatoires pesant sur les entreprises d’outre-Rhin. Avec des cotisations sociales part entreprise à 20,6 % (et même à 17,5 à 18 % au final en tenant compte du plafonnement des cotisations), des impôts sur la production représentant 14 % du RCAI en moyenne et un IS à 15 %, la compétitivité et l’emploi – et, par voie de conséquence, le revenu net moyen individuel de chaque citoyen et la réussite de son intégration sociale – font clairement figure de priorités pour les gouvernements allemands et ce, qu’ils soient de droite ou de gauche. Remarquable unanimité dont nos dirigeants seraient bien avisés de s’inspirer.

 

Le Danemark
 

Parmi les pays phénix, le Danemark fait clairement figure de champion et de précurseur. C’est en effet à partir du début des années 1980, sous le mandat de Poul Schlüter, Premier ministre (conservateur, dans un pays traditionnellement socialiste), sans discontinuer de 1982 à 1993, que le pays engage d’importantes réformes qui lui permettent d’amorcer un redressement spectaculaire de son économie. Au début des années 1980, le Danemark est dans une situation difficile : l’inflation se situe au-delà des 10 % par an, son taux de chômage est élevé (10 %), ses déficits publics importants et sa balance des paiements déficitaire. Dès son arrivée au pouvoir et après une vaste concertation avec les « forces vives » de la nation – syndicats, milieux économiques, entrepreneurs… –, Poul Schlüter met en œuvre d’importantes réformes fiscales visant à restaurer la compétitivité des entreprises.

  • Hausse du taux de la TVA de 8 % à 25 %, y compris pour les produits alimentaires, seuls cinq grands secteurs étant maintenus au taux initial   de 8 % : santé, éducation, services financiers, transports publics, presse quotidienne et évènements sportifs. Cette hausse très significative de la TVA ne provoque aucune « poussée inflationniste », ce qui lui permet de bénéficier d’une large adhésion de la part des Danois.

  • Suppression de toute charge sociale, part entreprise, venant alourdir leurs coûts de production et, ce faisant, handicaper leur productivité. Depuis cette réforme, le taux de cotisations sociales part entreprise au Danemark est de 0 % ! C’est désormais l’État – et les salariés pour ce qui relève de la retraite complémentaire – qui assure le financement des charges sociales.

  • Taxes « régionales » (« impôts sur la production ») ramenés à 14 % du RCAI) et IS sur les bénéfices (RCAI) des sociétés ramené à 15 % du RCAI.

  • Maintien de salaires bruts et nets élevés, voire progression salariale.

  • Alourdissement très sensible des impôts sur le revenu des personnes physiques : la première tranche est désormais de 36 % et la tranche extrême de 62,5 %. L’un des effets de cette réforme est qu’elle suscite dans tout  le pays un sentiment de justice fiscale et d’exemplarité, hélas inconnu en France.

  • Introduction de taxes nouvelles très élevées – jusqu’à 100 % du prix de vente ! – frappant certains produits de luxe et toutes sortes de « produits non écologiques » (Punktagifter), tels que voitures, alcools, tabac, insecticides, herbicides chimiques et autres produits nuisibles à l’environnement, chewing-gums, réglisses, confiserie, etc.

  • Réduction drastique du train de vie de l’Etat et des quinze régions.

  • Suppression de la quasi-totalité des niches fiscales, à l’exception de deux d’entre elles (déduction des revenus des cotisations pour la retraite, et des intérêts sur les emprunts liés à l’acquisition de la résidence principale) ;

  • Institution, en 1992, d’une retraite complémentaire à charge du salarié (10 % du salaire), mais déductible de ses revenus sur sa feuille d’impôts.

  • Défiscalisation des intérêts payés pour l’achat de sa résidence principale.

 

Les résultats de cette politique sont spectaculaires : dès 1988, la balance commerciale et la balance des paiements redeviennent positives ; l’inflation, qui dépassait 10 % au début des années 1990, est ramenée à 2 % en 1992 ; le déficit public, qui tournait autour de 8 % par an du PIB, descend à 2,6 % tandis que le budget dégage, à partir de 1998, des excédents croissants permettant de ramener la dette (avant la crise de 2008) de 82 % à 27 %. Notons que la dette a légèrement augmenté depuis cette date pour s’établir aujourd’hui (avant la crise du Covid 19) à 33,6 % du PIB. Quant au chômage, il est passé de 10 % à un peu moins de 8 % entre 1982 et 1988. Au début des années 1990, le taux de chômage connaît cependant une forte remontée pour culminer à 12 % en 1993. Une évolution qui tient à des raisons purement conjoncturelles et non à une faiblesse structurelle du modèle danois : à la fin des années 1980, le gouvernement danois a en effet été amené  à prendre des mesures de réduction de la demande intérieure (quelle leçon pour nous Français !) afin d’éviter une « surchauffe » de l’économie. Puis est venue la crise économique provoquée au début des années 1990 par la première guerre du Golfe, crise auquel le Danemark n’a pas échappé.

Les réformes menées par Poul Schlüter sont poursuivies par son successeur Poul Nyrup Rasmussen, premier ministre (social-démocrate) de 1993 à 2001. Entre ces deux dates, le chômage passe de 12 % à 5 % de la population active, taux qui est toujours le sien aujourd’hui. L’explication de cette baisse spectaculaire ? Elle tient en un mot : « flexisécurité ». En gestation dès Poul Schlüter, elle est mise en œuvre par Poul Nyrup Rasmussen durant les années 1990. L’objectif est de permettre aux entreprises d’embaucher et de licencier facilement tout en garantissant aux individus des revenus et des moyens de reconversion suffisants en cas de perte d’emploi.

 

N’entrons pas dans le détail de cette fléxisécurité qui fascine toute l’Europe et que le président Macron lui-même érige en modèle en 2018 lors d’un voyage à Copenhague. Qu’il suffise d’en résumer les grands principes :  les licenciements sont facilités et les salariés ne reçoivent aucune indemnité de licenciement ou alors très limitées. En échange de ces mesures, qui fluidifient le marché du travail, le chômeur bénéficie d’un suivi personnalisé et efficace, ponctué de nombreuses formations, qui dissuadent souvent le salarié de devenir « chômeur professionnel ». S’il a perçu au moins 29 405 euros au cours des 36 derniers mois, il reçoit de l’Etat, durant deux ans, une indemnisation particulièrement généreuse : elle représente en effet 90 % de son salaire. Cette somme n’est cependant pas un dû : pour la percevoir, le chômeur doit rechercher activement un emploi, suivre des formations obligatoires et passer régulièrement des entretiens. La recherche d’emploi est par ailleurs très encadrée: le conseiller vérifie en effet systématiquement qu’elle correspond aux besoins du marché et au profil du chômeur. Si ce dernier refuse un emploi, il peut perdre le bénéfice de son indemnisation. Ajoutons enfin, et c’est essentiel, que la mise en place et la réussite de la flexisécurité doivent beaucoup à la qualité du dialogue social au Danemark. Entre les syndicats de salariés et les dirigeants d’entreprises, la concertation est permanente, C’est à eux notamment qu’il appartient de négocier ensemble, tous les deux à trois ans, les règles du travail quitte à flirter avec la menace de grève. Inimaginable en France…

 

Mesures fiscales en faveur de la compétitivité des entreprises, réformes de l’Etat et assouplissement du marché du travail doublé de fortes incitations et de sanctions financières pour favoriser le retour à l’emploi pour les chômeurs, limitation drastique des indemnités de chômage des cadres au-delà d’un certain délai (il revient alors au niveau d’indemnisation de celles des autres salariés) : tels sont les principaux « piliers » des grandes réformes mise en œuvre au Danemark durant les années 1980 et 1990. En une dizaine d’années (à l’exception d’un trou​ d’air au début des années 1990), le pays a ainsi pu renouer avec la croissance et s’imposer comme l’un des pays les plus dynamiques d’Europe.

Tout ce système économique, social et fiscal rencontre un étonnant consensus de la population (plus de 85 %), quand bien même le renouvellement des contrats de branches peut donner lieu à des grèves de désaccords.

 

Les Pays-Bas

Un diplomate dont j’ai oublié le nom résumait en une phrase la mentalité des Néerlandais : « Quand j’ai envie de gagner du temps dans une négociation, je choisis la voie intermédiaire néerlandaise : j’ai plus de chances d’emporter l’assentiment général ». Dans son livre La Logique de l’honneur (Seuil, 1989), le sociologue Philippe d’Iribarne fait de son côté une très intéressante distinction entre les différentes façons de mener à bien une négociation : à ses yeux, la France s’inscrit dans une « logique de l’honneur » qui remonte à l’Ancien Régime et qui favorise le conflit, expliquant par contrecoup le nombre élevé de grèves et de conflits sociaux dans l’Hexagone. À l’opposé, les États-Unis sont le pays du contrat : ce qui est signé doit être respecté, même en cas d’injustice flagrante. Il sera toujours temps, le cas échéant, d’aller jusqu’au bout de ce contrat, puis de négocier durement, et de signer un nouveau contrat pour y mettre fin. Quant aux Pays-Bas, explique encore Philippe d’Iribarne, ils accordent une place essentielle au compromis et au consensus. L’écoute et la capacité à se mettre collectivement d’accord y tiennent une place essentielle.

 

Si l’on excepte Guillaume d’Orange au XVIIe siècle, les hommes providentiels sont rares au Pays-Bas. Dans le domaine qui nous intéresse, il n’existe pas vraiment de figure incarnant à elle seule les réformes, comme ce fut le cas au Danemark avec Poul Schlüter ou en Allemagne avec Gerhard Schröder. Les réformes y sont davantage collectives qu’incarnées. Peuples de marchands et de négociants, les Hollandais n’ont jamais oublié que la prospérité de chacun était l’une des conditions de la prospérité de tous. Les réformes se font dès lors autour d’un corpus d’idées qui font consensus et qui sont susceptibles d’être acceptées par tous.

 

C’est ce qui s’est passé après la crise de 2008. D’importantes réformes sont alors engagées qui continuent aujourd’hui de faire sentir leurs effets. Sans doute le Premier ministre Mark Rutte (centre-droit libéral), élu en 2010 et réélu à deux reprises en 2012 (à l’issue d’élections anticipées) puis en 2017, joue-t-il un rôle-clé dans la conception et la mise en œuvre de ces réformes. Mais ces dernières sont le fruit d’une concertation générale et font rapidement consensus auprès de tous les acteurs économiques du pays. Plusieurs mesures sont alors prises. Retenons les plus significatives :

  • Allègement de la fiscalité sur les entreprises. La priorité est d’emblée donnée à l’amélioration de la compétitivité des entreprises. Les cotisations sociales représentent désormais 19 % environ de la masse salariale et les impôts sur la production 9 % environ du RCAI. Quant à l’IS, il s’élève à 20 % du RCAI et même à 0 % pour les dividendes entre une maison-mère et sa filiale, expliquant ainsi le rôle de « hub fiscal » des Pays-Bas.

  • Hausse de la TVA. En 2014, le taux normal passe de 19 à 21 % tandis qu’en 2019, le taux réduit passe de 6 à 9 %.

  • Réforme du marché du travail. Il est considérablement assoupli : les employeurs peuvent notamment licencier librement pendant deux ans après l’embauche tandis que les salariés ont plus d’incitation à reprendre un emploi rapidement. Avec 3,4 % de chômage, le pays est aujourd’hui au plein emploi (avant la crise du coronavirus).

  • Hausse de l’âge légal de départ à la retraite. Il a été repoussé de 65 à 67 ans et la durée de cotisation a été allongée, induisant un nombre total d’années de 19,4 % de plus qu’en France, avant même la prise en compte de nos régimes spéciaux et de l’incidence des 35 heures en France (40 heures/ 35 = 14,2 % d’écart dans le privé, et dans les collectivités locales où l’on travaille plutôt 33 heures : 40/33 = 21,2 % d’écart de production avec   la Hollande). On comprend leurs performances et leur enrichissement général !

  • Réduction des dépenses publiques. Elles ont ainsi diminué de 48 % en 2010 à 43 % en 2017. Cette « cure d’austérité » de la fonction publique a entraîné en retour une forte diminution de la dette publique passée de 62 % en 2009 à 50,9 % aujourd’hui (avant l’incidence du Covid 19).

Une précision importante: les Pays-Bas font aujourd’hui bien mieux que la France dans tous les domaines. Ce n’était pas le cas en 1973 : nous étions alors largement devant les Hollandais. C’était en effet l’époque « glorieuse » du gaz, leur poule aux d’or qui faillit les engloutir dans la société de consommation (« the Dutch Disease » est devenu un cas d’école pour tous les économistes). La préférence donnée aux politiques de relance par la consommation à partir  de 1974 et la destruction de notre tissu industriel qui en est résulté ont depuis totalement renversé le classement. Rappelons, s’il était besoin de souligner le lien direct existant entre industrialisation et prospérité, que la part de l’industrie dans le PIB hollandais est de 17,9 % quand la France est à 12 %127 (et 9,3 % pour l’industrie manufacturière).

(...)

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